par Annick Lemoine et Florence Buttay
Chef de projet scientifique du Festival de l’histoire de l’art
Au moment où l’histoire de l’art fait enfin, en France, son entrée dans les programmes scolaires, de l’école primaire au lycée, Frédéric Mitterrand, Ministre de la Culture et de la Communication, a souhaité promouvoir et encourager la diffusion de cette discipline par une manifestation originale. L’initiative en revient à Annick Lemoine, maître de conférences à l’université de Rennes II, spécialiste du mouvement caravagesque, ancienne conseillère du Ministre et aujourd’hui chargée de mission pour l’histoire de l’art à l’Académie de France à Rome-Villa Médicis. Le Festival a pris la forme d’une coproduction du Ministère de la Culture, de l’Institut national d’histoire de l’art et du Château de Fontainebleau. L’organisation logistique relève du château de Fontainebleau et la responsabilité scientifique repose sur l’INHA. Un comité scientifique présidé par Alain Schnapp (professeur d’archéologie grecque, Université Paris I), veille à la construction de la programmation.
La programmation du Festival : un festin d’images, de rencontres et de connaissances.
Conçu comme un carrefour des publics et des savoirs, il a offert durant trois jours abondance d’images et de rencontres à la fois scientifiques et festives qui souhaitaient s’adresser à tous, professionnels, enseignants, scolaires, étudiants, amateurs et curieux.
Un fil rouge : le thème
Pour réunir toutes les périodes et tous les arts et éveiller la curiosité du public, un thème est choisi chaque année, fil rouge du Festival. Pour la première édition, le thème de la Folie exprimait à la fois un trait fondamental de la création artistique et l’audace de l’entreprise du Festival elle-même ! Il était suggéré par un double anniversaire : celui de la publication de l’Eloge de la Folie d’Erasme (1501) et de la parution de l’Histoire de la folie à l’âge classique de Michel Foucault (1961). Conférences, débats, tables rondes, lectures, faisant une large place au dialogue avec le public, ont exploré ce thème de la folie, suivant trois axes principaux : les rapports entre création et folie, les créateurs fous ou réputés tels, enfin l’iconographie de la folie.
Aux côtés du thème, et éventuellement en dialogue avec lui, le Festival propose trois rendez-vous annuels : le Forum de l’histoire de l’art, le Salon du livre et des revues d’art et Art & Caméra, un festival du film sur l’art. Enfin, le Festival sollicite chaque année le point de vue d’un pays invité ; cette année c’est celui de l’Italie qui a enrichi l’ensemble des manifestations.
Le Forum de l’histoire de l’art
Découvertes archéologiques, expositions récentes, nouvelles technologies (en partenariat avec l’Ecole des Mines), bilans historiographiques… le Forum a cherché à rendre compte de plusieurs aspects de l’actualité de l’histoire de l’art. De la présentation des travaux de jeunes chercheurs aux ateliers multimédia, on y a retrouvé des acteurs, enjeux et outils de la discipline aujourd’hui et demain. Eric de Chassey a prononcé une « Apologie pour l’histoire de l’art » qui ouvrait les travaux du Forum. Des rencontres ont porté sur le marché de l’art, la place de l’histoire de l’art dans les médias (presse quotidien, revues en ligne…), l’actualité historiographique sur les arts à Fontainebleau au XVIe siècle ou sur le Caravage, le témoignage de collectionneurs d’aujourd’hui, la présentation de l’œuvre de jeunes artistes d’aujourd’hui à la fois par leur galeriste et par des historiens de l’art...
Le salon du livre et des revues d’art
Il a rassemblé une cinquantaine d’éditeurs et de libraires pour un panorama de l’actualité éditoriale, du livre d’art à la revue savante en passant par les essais sur l’art et les publications de thèses. En lien avec le thème ou le pays de l’année, mais également avec l’actualité éditoriale, les éditeurs ont proposé des activités qui se sont intégrées au programme général du Festival. Le stand de la librairie Arte & Libri qui présentait la richesse de l’édition italienne a été particulièrement remarqué. Le comité scientifique du Festival attribue chaque année un prix pour un projet de traduction d’un ouvrage important d’histoire de l’art d’une langue étrangère vers le français. Cette année le prix est allé au livre d’Andreas Beyer et Ernst Osterkamp, Goethe Handbuch. Kunst, Editions Centre allemand d'histoire de l'art/MSH. Alors que plus de 4000 visiteurs ont parcouru le Salon, il faut prévoir de nouveaux espaces pour son expansion l’année prochaine.
Art & Caméra
Le Festival a fait au 7e art une place originale et privilégiée : Art & Caméra a projeté près de 60 films, autour du thème de la folie et autour de l’art et des artistes. Là encore, cette programmation exigeante, présentant des classiques mais aussi de nombreuses raretés, comme l’unique copie au monde d’Une page folle, magnifique film de Teinosuke Kinugasa (1929) pour lequel une pièce originale avait été commandé à un trio de jeunes musiciens. Si Werner Herzog n’a pu se déplacer pour l’avant-première de Cave of forgotten dreams, introduit par Serge Toubiana, Marco Bellocchio est venu présenter un film particulièrement intéressant pour le thème de la folie : La Balia (1998), projeté samedi 28 en présence de Frédéric Mitterrand.
Toutes les rubriques du Festival avaient été placées sous le regard d’un pays invité : l’Italie.
Au sein du comité scientifique, Annick Lemoine, Maria Grazia Messina et Clario Di Fabio ont coordonné la représentation du pays invité. Une soixantaine d’historiens de l’art, universitaires, conservateurs, restaurateurs, critiques d’art, musiciens, collectionneurs ont confronté leurs approches, exposé le foisonnement et les difficultés du monde des arts, de la recherche et du patrimoine en Italie. Plusieurs associations, comme la Cunsta ou l’Anisa, ont participé aux rencontres et ont servi de relais auprès de la communauté scientifique et enseignante. Le Festival a bénéficié d’une couverture médiatique importante en Italie, avec des retransmissions sur Radio 3 suite et des articles dans la presse quotidienne et spécialisée. A l’occasion de ces journées, Frédéric Mitterrand a tenu à rendre hommage à trois personnalités de la Péninsule pour leur contribution à la discipline : Anna Ottani Cavina, Rossana Rummo et Salvatore Settis qui ont été élevés au grade d’Officiers des Arts et des Lettres.
Enfin, pour accompagner le développement de l’enseignement de l’histoire des arts, le Festival a proposé des formations aux enseignants et aux cadres du système éducatif. Il a ainsi accueilli un double dispositif : d’une part une université de printemps destinée aux cadres de l’éducation nationale (inspecteurs pédagogiques régionaux, délégués à l’action culturelle…) et d’autre part des ateliers pédagogiques pour les enseignants. Ces formations ont cherché à valoriser les liens avec l’ensemble des autres disciplines enseignées à l’école, puisque l’histoire « des arts » n’est pas encore considérée comme une matière en soi mais doit être portée par les enseignants des différentes disciplines. Le thème choisi cette année, « Arts, sciences et techniques », illustrait cette volonté de sensibiliser tous les enseignants y compris ceux des disciplines scientifiques qui ne sont pas les plus aisément associées à cet enseignement.
Des expositions, des concerts, des performances et des visites exceptionnelles ont contribué à enrichir la programmation du Festival et ont rencontré un succès important Le public a particulièrement apprécié les lectures de correspondances d’artistes que des comédiens donnaient quotidiennement dans les jardins du château. L’ensemble Daedalus a offert le dimanche soir, en clôture de la manifestation, La Follia di Orlando et la poésie madrigalesque de Jacquet Berchem, concert précédé d’une conférence sur les rapports entre la folie et la musique à la Renaissance de Roberto Festa, directeur de l’ensemble.
Le public du Festival : succès et diversité
Le Festival de l’histoire de l’art a souhaité être ouvert au plus large public. A cette fin, le principe de la gratuité a été retenu pour toutes les activités proposées, des conférences et débats aux séances de cinéma en passant par les concerts, les lectures et les visites conférences.
Le succès a été à la mesure de cette ambition, puisque 15 000 visiteurs ont fait le déplacement à Fontainebleau, malgré –ou grâce- au caractère inédit de l’évènement. Le site de Fontainebleau n’a pas peu contribué à la réussite de ces journées, d’autant que plusieurs salles étaient exceptionnellement ouvertes et que des conservateurs proposaient des visites thématiques du château. La beauté du parc au printemps, l’accueil de la Ville de Fontainebleau et de l’Ecole des Mines, où se déroulait une partie importante des activités, ont assuré une atmosphère de villégiature savante, d’abbaye de Thélème chaleureuse à ces trois journées.
Une enquête auprès d’un échantillon de 150 personnes, menée par un groupe d’étudiants de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, permet d’esquisser le profil des visiteurs. Seul un tiers des personnes interrogées était des professionnels de l’histoire de l’art. Il s’agit pour cette première édition encore d’un public local, les habitants de Seine-et-Marne et du reste de l’Ile de France représentant près de 70% de l’échantillon. A plus de 85%, ils avaient été attirés par les rencontres (conférences, débats et tables rondes), dont ils appréciaient la qualité. Mais la plupart en avait profité également pour écouter une lecture, assister à une visite ou voir un film. Le public a reconnu la qualité de la programmation Art & Caméra, puisque les projections au cinéma L’Ermitage ont attiré en moyenne 600 personnes par jour.
Un carrefour des acteurs de l’histoire de l’art
Le FHA se voulait à la fois une fenêtre sur l’histoire de l’art, ouverte le plus largement possible, mais aussi un lieu de retrouvailles et d’échanges pour les professionnels. Les métiers de l’histoire de l’art sont très divers (entre la recherche, l’enseignement, la conservation, la restauration, le marché de l’art etc.). Le Festival se voulait une occasion de rassemblement d’une communauté souvent dispersée. Les retours des intervenants et du public professionnel présent permettent de suggérer que cet objectif a été atteint et pourra l’être davantage dans les années à venir. Plusieurs projets de publication sont nés à l’occasion de ces échanges, ce dont se réjouissent les organisateurs. En effet, le Festival n’a pas vocation à éditer les actes de ses rencontres, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un colloque et où la parole y est plus accessible et tend davantage au dialogue qu’une communication scientifique. Cependant, on peut regretter que seules quelques conférences ou tables rondes aient été enregistrées (elles seront disponibles sur la plate-forme en ligne de France Culture).
Le comité scientifique du Festival, réunit le 4 mai dernier, a déjà lancé l’édition 2012 en choisissant le thème « Voyages » et le pays invité, l’Allemagne. L’aventure du Festival de l’histoire de l’art ne fait donc que commencer...